« Ce qu’il te faut en fait, c’est Le Silmarillion, qui est quasiment une Histoire des Eldalië (ou Elfes, selon une traduction pas tout à fait exacte) depuis leur essor jusqu’à la dernière Alliance, et la première défaite temporaire de Sauron… »
Lettre 114 à Hugh Brogan
7 avril 1948
"Mais à ces créatures que j'appelle en anglais, de façon trompeuse, des Elfes*, sont associées deux langues apparentées qui sont plus achevées, dont l'Histoire est écrite, et dont les formes (qui représente deux aspects différents de mon propre goût linguistique) sont déduites scientifiquement d'une origine commune. [...] « Je n’ai pas employé le terme de « magie » avec cohérence et même Galadriel, la reine elfique, est forcée de reprendre les Hobbits qui emploient indifféremment ce terme pour désigner à la fois les procédés et actions de l’Ennemi et ceux des Elfes. Si je ne l’ai pas fait, c’est qu’il n’y a pas de terme pour ces derniers (puisque toutes les histoires humaines ont pâti de la même confusion). Mais les Elfes son là (dans mes récits) pour marquer la différence. Leur « magie » est l’Art, délivré de beaucoup de ses limites humaines : plus aisé, plus rapide, plus achevé (la vision et la réalisation en correspondance parfaite). Et son objet est l’Art, non le Pouvoir, la subcréation, non la domination et la déformation tyrannique de la Création. Les « Elfes » sont « immortels » tant que dure ce monde ; et ils sont par conséquent plus en proie aux chagrins et aux fardeaux liés à l’absence de mort, au fil du temps et des changements, qu’à la mort. […]
Puis l’on passe rapidement à l’Histoire des Elfes ou Silmarillion à proprement parler : au monde tel que nous le percevons quoique, bien sûr, transfiguré selon un mode encore à moitié mythique – c’est-à-dire qu’il traire de créatures rationnelles incarnées d’une stature plus ou moins comparable à la nôtre. […] Le destin des Elfes est d’être immortels, d’aimer la beauté du monde, de l’aider à se révéler pleinement grâce à leur délicatesse et leur perfection innées, de durer tant qu’il dure, de ne jamais l’abandonner même quand ils sont « massacrés », mais d’y revenir – et toutefois, quand viennent les Successeurs, de les instruire et de leur faire place, de « s’effacer » tandis que les Successeurs se développent et absorbent la vie dont les deux peuples procèdent. Le Destin (ou Don) des Hommes et d’être mortels, affranchis des cercles du monde. Puisque le point de vue du cycle dans son ensemble est celui des Elfes, la mortalité n’est pas expliquée par le mythe : c’est un mystère de Dieu dont on ne sait rien de plus que le fait que « le destin de Dieu pour les Hommes est caché » : c’est un motif de chagrin et d’envie pour les Elfes immortels.
Comme je l’ai dit, les légendes du Silmarillion, sont particulières et diffèrent de tous les équivalents que je connais en ceci qu’elles ne sont pas anthropocentriques. Le point de vue et l’intérêt ne sont pas centrés sur les Hommes mais sur les « Elfes ». Les Hommes ont surgi par nécessité : après tout l’auteur est un homme, s’il a des lecteurs ce seront des Hommes, et les Hommes doivent surgir dans nos récits, en tant que tels, et non simplement transfigurés ou partiellement représentés sous la forme d’Elfes, de Nains, de Hobbits, etc. […] Les Hommes qui apparaissent sont principalement ceux des Trois Maisons des Pères des Hommes, dont les chefs deviennent les alliés des Seigneurs elfiques. La rencontre des Hommes et des Elfes annonce déjà l’Histoire des Ages ultérieurs et un thème récurrent est l’idée que chez les Hommes (tels qu’ils sont à présent) il y a un lien de « sang » et un héritage provenant des Elfes, et que l’art et la poésie des Hommes en dépendent en grande partie, ou son modifiés par lui.*[…]
Dans le premier récit, nous voyons une sorte de deuxième chute ou du moins d’ « erreur » commise par les Elfes. Il n’y avait rien de vraiment grave dans le fait qu’ils s’attardent, bien q’avec tristesse, malgré les conseils, sur les terres mortelles, lieux de leurs anciens actes héroïques. Mais ils voulaient une chose et son contraire. Ils voulaient la paix, la félicité et se souvenir parfaitement de l’ « Ouest » tout en demeurant sur la terre ordinaire où leur prestige de personnes de grande noblesse, supérieurs aux Elfes sauvages, aux Nains et aux Hommes était plus grand qu’au bas de la hiérarchie du Valinor. La perspective de « s’effacer » devint obsédante pour eux qui percevaient le passage du temps (la loi du monde sous le soleil) suivant ce mode. Ils devinrent tristes et leur art (dirons-nous) devint passéiste et tous leurs efforts devinrent plutôt une sorte d’embaumement, même s’ils conservaient également les anciennes intentions de leur peuple, l’embellissement de la terre et la guérison de ses blessures.
*1 Souhaitant que le mot soit compris dans ses acceptions premières, qui ont perduré jusqu'à l'époque de Spencer - je maudis Will Shakespeare et ses satanées toiles d'araignées.
*2 Bien sûr cela signifie seulement en réalité que mes « elfes » ne sont qu’une représentation ou une appréhension d’un aspect de la nature humaine, mais cette façon de parler s’écarte du mode de la légende.»
Lettre 131 à Milton Waldman
fin 1951
""Elfes" est une traduction, peut-être plus vraiment appropriée maintenant, mais assez satisfaisante à l'origine de
Quendi. Ils sont présentés comme un peuple d'apparence similaire (d'autant plus que l'on remonte le temps) à celle des Hommes, et de la même stature dans les jours anciens. Je ne parlerai pas ici de leurs différences avec les Hommes! Mais je vois en fait très peu de liens entre les
Quendi de ces Histoires et les Elfes et les Fées européens; et si l'on me forçait à parler en termes rationnels, je dirais qu'ils représentent réellement des Hommes doués de facultés esthétiques et créatrices beaucoup plus développés, d'une beauté supérieure et d'une vie plus longue, et de noblesse - les Premiers Enfants, condamnées à s'effacer devant les Successeurs (les Hommes), et à ne plus vivre au final que dans la branche, minoritaire, de leur lignée qui s'est mêlée à celle des Hommes, chez qui cela constitue la seule prétention légitime à la "noblesse"."
Lettre 144 à Naomi Mitchison
25 avril 1954
« De même, je regrette profondément à présent d’avoir employé Elfes, bien que ce terme, par son ascendance et son sens premier, convienne plutôt bien. Mais le catastrophique avilissement de ce mot, dans lequel Shakespeare a joué un rôle impardonnable, l’a vraiment surchargé de connotations regrettables, qui sont trop fortes pour être dépassées. J’espère être en mesure dans les Appendices du vol. 3, d’inclure une note « De la traduction », dans laquelle je pourrai éclaircir la question des équivalences et de mon usage des termes. La difficulté a été pour moi, que dans la mesure où j’ai essayé de représenter une sorte de légendaire et d’Histoire d’une « époque oubliée », tous les termes spécifiques étaient dans une langue étrangère, et qu’il n’existe pas d’équivalents stricts en anglais. »
Lettre 151 à Hugh Brogan
18 septembre 1954
« Puis-je dire dès maintenant que je ne tolérerai pas ce genre de bricolage de la nomenclature des noms de personnes. Pas plus qu’avec le terme Hobbit. Je ne veux plus de Hompen (je n’avais pas été consulté), ni de Hobbel ou je ne sais quoi. Elfes, Nains, Trolls, oui : ce sont de simples équivalents modernes des termes exacts. »
Lettre 190 à Rayner Unwin
3 juillet 1956
"Dawarfs, etc. est bien entendu la seule forme plurielle moderne reçue ; mais la correction (non systèmatique) d’elvish n’a même pas cette excuse. Elvish, forme plus ancienne et « historique» est encore reçue, et figure même dans des dictionnaires aussi répandus que le «Pocket Oxford ». Je devrais être reconnaissant, j’imagine, à Cox et Wyman de ne pas m’avoir infligé les corrections d’elven en elfin et de further en farther que Jarrolds a tentées, mais ces derniers imprimeurs avaient au moins affaire à un manuscrit qui comportait un bon nombre d’erreurs d’inattention. [...] Dans toute la poésie vieil anglaise, "elfes" (ylfe) n'apparaît qu'une seule fois, dans
Beowulf*, en compagnie de trolls, de géants et larves comme les descendants maudits de Caïn. Le faussé entre eux et, disons, Elrond ou Galadriel ne peut être comblé par l'érudition."
Lettre 236 à Rayner Unwin
30 décembre 1961
* J'ajoute ici ma traduction du passage en question de Beowulf:
"Caïn paya le prix de cette querelle
et fut chassé des terres par les hommes foulées.
De lui s’éveillèrent les lamentables races
tels que
elfes et ogres et esprits démoniaques
et géants qui à Dieu, par de vaines stratégies,
longtemps firent la chasse, avant qu’il ne réponde, las
à leurs veines et vaniteuses attaques ! "
En bonus, une
petite vidéo de Tolkien parlant des Elfes.