« Si seulement le moteur à « combustion infernale » n’avait pas été inventé ! Ou (plus difficile encore puisque l’humanité et les ingénieurs en particulier sont à la fois stupides et malveillants, en règle générale) si seulement il avait été réservé à des usages raisonnables –s’il en est. »
Lettre 64 à Christopher Tolkien
30 avril 1944
« Là est mise à nue toute la tragédie, et la vacuité, de toute machine. Contrairement à l’art qui se contente de créer en pensée un nouveau monde secondaire, elle essaie de concrétiser le désir, pour ainsi générer du pouvoir en ce Monde ; et cela ne peut pas vraiment être fait de façon réellement satisfaisante. Les machines faites pour nous économiser des efforts ne font que demander des efforts pires et interminables. Et en plus de cette incapacité fondamentale de la créature s’ajoute la Chute, qui non seulement détourne nos procédés de ce désir, mais les dirige vers un Mal nouveau et horrible. Et nous passons inévitablement de Dédale et Icare au Bombardier Géant. Cela n’est pas là un pas vers la sagesse ! Cette terrible vérité, entrevue il y a bien longtemps par Sam Butler, surgit de manière tellement nette et est si horriblement manifeste de nos jours, avec la menace, pire encore, qu’elle représente pour l’avenir, que cela semble presque être une maladie mentale mondiale que seule une minuscule minorité perçoit. »
Lettre 75 à Christopher Tolkien
7 juillet 1944
« Nous étions censés avoir atteint un degré de civilisation dans lequel il pouvait encore être nécessaire d’exécuter un criminel, mais non d’exulter, ni de prendre femme et enfant à côté de lui tandis que hue la foule orque. La destruction de l’Allemagne fût-elle 100 fois méritée, est l’une des plus effroyables catastrophes mondiales. Mais bon, toi ni moi n’y pouvons rien. Ce qui devrait donner la mesure du degré de culpabilité que l’on peut légitimement imputer à tous ceux qui vivent dans un pays sans être membres de son Gouvernement à proprement parler. Donc la première Guerre des Machines semble toucher à son dernier chapitre, sans conclusion – et en laissant, hélas, tout le monde plus pauvre, beaucoup dans le deuil ou blessés, et des millions, morts ; et une seule chose qui triomphe : les Machines. Puisque les serviteurs des Machines deviennent une classe privilégiée, les Machines vont être infiniment plus puissantes. Que vont-elles faire ensuite ? »
Lettre 96 à Christopher Tolkien
30 janvier 1945
« Les nouvelles d’aujourd’hui à propos des « bombes atomiques » sont tellement terrifiantes que l’on en reste stupéfait. La folie pure de ces physiciens déments qui consentent à faire ce travail à des fins guerrières : conspirant tranquillement pour détruire le monde ! Laisser de tels explosifs entre les mains des hommes, alors que leur stature morale et intellectuelle est sur le déclin, est à peu près aussi profitable que de donner des armes à feu à tous les détenus d’une prison en disant que l’on espère que « cela assurera la paix ». Mais il peut en sortir du bon, j’imagine, si les rapports ne s’emballent pas : le Japon devrait s’effondrer. Nous sommes donc entre les mains de Dieu. Mais Il ne voit pas d’un bon œil les bâtisseurs de Babel. »
Lettre 102 à Christopher Tolkien
9 août 1945
« De toute façon tout cela se rapporte essentiellement à la Chute, à la Mortalité et à la Machine. A la Chute forcément, et ce motif apparaît sous divers aspects. A la Mortalité, surtout en ce qu’elle affecte l’art et le désir créatif (ou devrais-je dire, subcréatif) qui semble n’avoir aucune fonction biologique et se distinguer des satisfactions de la vie biologique simple et ordinaire avec laquelle, dans notre monde, il est en effet généralement en conflit. Ce désir est à la fois uni à un amour passionné du monde réel et primaire – et de ce fait il est pénétré du sentiment de la mortalité -, et pourtant il n’est pas comblé par lui. Il a de multiplies occasions de « Chute ». Il peut devenir possessif, s’accrochant aux choses qu’il a faites et les réclamant comme « siennes » ; le subcréateur souhaite être le Seigneur et Dieu de sa création personnelle. Il est enclin à se rebeller contre les lois du Créateur – en particulier contre la mortalité. Ces deux traits (seuls ou conjugués) mènent au désir de posséder le Pouvoir, de rendre plus rapidement efficace la volonté – et donc mènent à la Machine (ou Magie). Par cette dernière j’entends tout recours à des plans ou procédés (appareils) externes aux dépens du développement des pouvoirs ou des talents internes qui nous sont propres – ou même le recours à ces talents avec l’intention corrompue de dominer : raser le monde réel, ou contraindre d’autres volontés. De nos formes modernes, la Machine est la plus évidente, bien qu’elle soit plus étroitement apparentée à la Magie qu’on ne l’admet généralement. »
Lettre 131 à Milton Waldman
Fin 1951
« Cette charmante maison est devenue inhabitable – impossible de dormir, de travailler dans cette maison branlante assaillie par le bruit et emplie de fumées. Telle est la vie moderne. Le Mordor est parmi nous. Et je suis désolé de constater que le nuage tourbillonnant que nous avons récemment vu en photo n’a pas marqué la chute de Barad-dûr, mais a été produit par ses alliés, ou du moins par des personnes qui ont décidé d’utiliser l’Anneau pour servir leurs propres buts (des plus excellents, assurément). »
Lettre 135 à Rayner Unwin
24 octobre 1952
« Je ne les considérerais pas comme plus malfaisants ni fous (mais bien plutôt face au même danger) que des catholiques engagés dans certains type de recherche en physique (par ex. ceux qui fabriquent, même comme sous-produits, des gaz toxiques et des explosifs) : choses qui ne sont pas nécessairement maléfiques mais qui, les choses étant ce qu’elles sont, et la nature et les motivations des maîtres de l’économie qui leur fournissent le moyen de travailler étant ce qu’elles sont, serviront de manière presque certaine des desseins maléfiques. Pour lesquels ils ne seront pas forcément responsables, même s’ils en sont conscients. »
Lettre 153 à Peter Hastings (brouillon)
Septembre 1954
« L’Ennemi, ou ceux qui sont devenus comme lui, apprécient les « machines » - aux effets maléfiques et destructeurs – parce que les « magiciens », qui ont fini par se préoccuper avant tout de l’utilisation de la magia à des fins de pouvoir, agiraient ainsi (ils agissent, de fait, ainsi). L’intention première dans l’utilisation de la magia, en laissant de côté toute considération philosophique sur la manière dont cela marcherait, est l’immédiateté : la rapidité, la réduction du travail nécessaire, mais aussi la réduction au minimum (ou jusqu’à sa disparition) du fossé entre l’idée ou le désir, et le résultat ou l’effet. Mais la magia peut ne pas être aisée à obtenir, et en tous cs si vous disposez de travailleurs esclaves en abondance, ou de machines (souvent la même chose, dissimulée), il peut être aussi rapide, ou assez rapide, d’abattre des montages, de détruire des forêts ou de construire des pyramides par ces moyens. Bien entendu, un autre facteur encore alors en jeu, un facteur moral ou pathologique : les tyrans perdent de vue les objets, deviennent cruels et aiment à briser, blesser et souiller pour l’acte même. Il serait sans doute possible de défendre l’introduction par le pauvre Lothon de moulins plus efficaces ; mais pas la façon dont Sharcoux et Rouquin les utilisent. »
Lettre 155 à Naomi Mitchison (brouillon)
1954 ( ?)
« La forêt de Fangorn était ancienne et belle, mais à l’époque de cette histoire, crispée par l’hostilité parce que la menaçait un ennemi aimant la machine. La Forêt Noire était tombée sous la domination d’une Puissance qui détestait toutes les choses vivantes mais sa beauté fut restaurée et elle devint Vertbois-le-Grand avant la fin de l’histoire.
Il serait injuste de comparer la Commission de Sylviculture à Sauron dans la mesure où vous faites remarquer qu’elle est capable de se repentir ; mais rien de ce qu’elle fait de stupide ne se compare avec les destructions, les tortures et les meurtres infligés aux arbres par des individus isolés et des institutions officielles secondaires. Le bruit sauvage de la scie électrique n’est jamais loin partout où l’on trouve encore des arbres en train de pousser. »
Lettre 339 au rédacteur en chef du Daily Telegraph
30 juin 1972
« Le monde moderne était pour lui essentiellement associé à la Machine. Les Homes ont opté pour la solution du Pouvoir, représenté par la Machine, et l’Anneau est la Machine ultime puisqu’il a été forgé par Sauron pour corrompre. C’est pourquoi la seule solution au problème que représente l’Anneau, comme l’ont compris les sages de Fondcombe, était sa destruction. »
Christopher Tolkien, "An Awfully Big Adventure"
1998