Hello !
Suite à la discussion avec YouCan'tGetNo et Sador à Meduseld, j'avais en tête de me trouver un frêne à abattre pour réaliser quelques arcs directement depuis l'arbre, à opposer à la planche dans laquelle j'ai réalisé ma première tentative.
Travailler depuis l'arbre est plus proche de l'artisanat historique, et plus proche de la nature d'une certaine façon : il faut travailler avec les défauts du bois et chanter avec lui, contrairement à la planche qui est plus obeissante.
Il se trouve que durant le repas de famille, dimanche, j'ai demandé à mon grand père où mon cousin éloigné menuisier trouve ses bois, et mon grand père m'a dit qu'il avait, et bien, à peu près tout ce dont on peut rêver. Noisetiers, ormes... Pas d'ifs, mais ... beaucoup de frênes ! Plusieurs dizaines sur son terrain, qu'il coupe régulièrement. Il m'a donc proposé de repérer s'il y en avait un qui convient, ce que j'ai fait, et j'y suis retourné aujourd'hui pour le collecter.
Il faudra maintenant attendre bien 6 mois pour pouvoir passer à la suite, mais voici les photos de cette première étape de l'aventure.
Un mot sur le frêne déjà. C'est un bois qui est très dur, souple, et très léger. Idéal donc pour les manches de lances, d'outils, ou pour les arcs. On sait qu'il est utilisé par les rohirrim pour leurs lances par exemple :
- Papy a écrit:
- In their hands were tall spears of ash, painted shields were slung at their backs, long swords were at their belts, their burnished skirts of mail hung down upon their knees.
Il est aussi décrit régulièrement dans la Comté. Le frêne est un arbre qui pousse très vite, se replante très bien. Ses cernes sont importants si le climat est bon, c'est une très bonne ressource, renouvellable facilement, dont les chutes font du très bon bois de chauffage.
Un mot sur les arcs chez Tolkien. à ma connaissance, le frêne n'est jamais cité comme bois d'arc. Nous avons un arc légendaire en corne de dragon, des arcs orcs en os et les arcs des uruks en if qui sont cités comme "semblables à ceux des hommes" :
- Papy a écrit:
- There were four goblin-soldiers of greater stature, swart, slant-eyed, with thick legs and large hands. They were armed with short broad-bladed swords, not with the curved scimitars usual with Orcs: and they had bows of yew, in length and shape like the bows of Men. Upon their shields they bore a strange device: a small white hand in the centre of a black field; on the front of their iron helms was set an S-rune, wrought of some white metal.
Toutefois, qui sont les hommes dont on parle reste un mystère. Il s'agit ici des hommes en général. Je pense qu'ici, Tolkien puise dans la mythologie de l'english longbow, l'arc long anglais qui fit la réputation des archers d'albion sur la fin de la période médiévale et qui était majoritairement de l'if (il semblerait qu'il existe une ordonnance royale début XVe autorisant les facteurs d'arcs à utiliser du noisetier, de l'orme et du frene pour leurs arcs... donc avant ça ne devait pas etre commun pour les commandes royales.)
Les matériaux utilisés pour faire des arcs à travers l'histoire dépendent sans surprise aussi d'ou ils sont faits. Ainsi, l'osage orange est le bois des arcs supérieurs amérindiens d'apres The Traditional Bowyer Bible, alors que celui d'If est le bois des arcs supérieurs européens.
J'ai choisi de réaliser mon prochain arc en frêne par pragmastime. Mon premier a été réalisé en hickory, ou carya en français. C'est un bois extremement résistant, dont The Traditional Bowyer Bible m'avait dit qu'il pardonnait facilement les erreurs. ça me semlait donc un bon point de départ, mais le Carya ne se trouve nulle part chez Tolkien et c'est un bois qui chez nous vient du continent nord-americain. S'il fait parfaitement illusion, étant un bois blanc difficilement différenciable d'un frêne, et permettant d'alligner des arcs monoxyles puissants et résistants à moindre coût, j'ai souhaité pour la suite aller sur des essences que l'on retrouve de façon attestée en arda.
La source pointe directement sur l'utilisation d'ifs, mais l'if est un bois traitre, difficile à travailler et je ne pense pas en avoir encore le niveau. L'orme et le frêne me semblaient les bois les plus logiques. Ce sont des bois d'arcs historiques européens connus ayant cottoyé l'if à toutes les périodes (et ce depuis le Mésolithique, durant lequel les plus anciens arcs retrouvés sont d'orme, mais au moins un exemplaire serait d'if d'après wikipedia). Ce sont aussi deux essences attestées en terre du milieu, y compris pour la fabrications de lances au rohan. Il me semble alors logique que meme si la majorité des arcs militaires sont d'if, le frêne et l'orme puissent être représentés également. Tout comme le carya, le frene pardonne plus l'erreur que l'if et me pemettra de continuer à progresser.
J'ai donc selectionné un beau frêne. Il doit être bien droit, ne montrer aucune trace de fibre vrillées, avoir le moins de noeuds possibles.
Dans ce petit groupe de 4 frênes (et un ayant été coupé plus tot pour faire de la nourriture à lapin d'après ce qu'on m'a dit), celui de droite correspondait à ce que je cherchais. Il mesurait une huitaine de metres de haut, sa section était de 10 à 14 cm sur les 4 premiers metres (ceux qui m'interessaient).
3 coups de tronçonneuse plus tard...
J'ai conservé deux billes de 2 metres environ chacune. J'aurai pu etre gourmand et tenter ma chance dans le reste de l'arc, mais ça ira au grand père pour la cheminée. Une parenthèse sur la période de coupe. Webarcherie me dit qu'il vaut mieux attendre octobre mais que selon les endroits l'éte est bon aussi. J'ai pour ma part demandé à mon grand père qui coupe son bois de chauffage et ses manches d'outils depuis pas loin de 70 ans, et il m'a dit de couper maintenant, "en sève descendante", sur les deux dernières semaines d'aout. Je lui ai fait confiance, l'avenir me dira si c'était la chose à faire !
L'étape suivante est de fendre l'arbre pour obtenir des billettes. Le bois vert fend plus facilement. C'est aussi lors de la fente qu'on découvre si la fibre est vrillée, rendant l'arc inutilisable. J'ai donc préfére fendre vert qu'attendre. Les billettes sechent aussi plus vite. Par contre, le bois travaille plus, et il y a un risque plus important de billette tordue s'il seche ainsi.
La technique du grand père: un coup violent de masse en bout de tronc fait apparaitre une microfissure au coeur de l'arbre, dans laquelle il enfonce le premier coin. J'avais un peu peur pour mon bois d'arc mais c'était en bout de bille et ça a très bien marché. Le bois s'est fendu très droit et en passant parfaitement par le coeur, donc j'imagine qu'il sait ce qu'il fait. Parenthèse, j'ai vu sur Youtube des vidéos de messieurs qui tapent sur du frene jusqu'a ce que chaque cerne se décole naturellement, permettant d'obtenir des lamelles très fine, ça vaut le coup d'oeil :
https://www.youtube.com/watch?v=9WtdXCpq_ok . Ensuite c'est assez classique, on avance les coins de plus en plus dans l'arbre jusqu'a avoir deux arbres. Enfin, deux billettes. J'ai eu de la chance. Fibre bien droite, ça a vraiment l'air d'etre de la bonne matiere pour travailler.
Il est par contre un peu juste en diametre. Sans etre gourmand, je suis certain de pouvoir coller deux formes de 5 par 5 dans chacune de mes 4 billettes (deux billes fendues chacune en deux), mais jaurais aimé etre gourmand et pouvoir en faire 4, au moins dans la bille du bas. Je me dis que je verrai quand ça sera sec, je commencerai par la billette la plus fine et si je me sens de faire 4 longbows au lieu de deux dans le bois restant, je tenterain de refendre à sec.
Une fois fait vient le temps d'enlever l'écorce. Un post de 2012 sur Webarcherie me dit que c'est mieux pour éviter les xylophages, et mon grand père me dit que ça sechera plus vite. Je n'ai pas pris de photos, il y avait beaucoup à faire, mais j'ai fait ça à la serpe et à la plane. En cette saison l'écorce part presque toute seule, en gardant le bon angle il est impossible d'attaquer le bois, qui est beaucoup plus dur et arrete net la lame.
La raison pour laquelle on ne veut pas attaquer le bois est que sur le frene (et c'est aussi le cas sur les arcs en if retrouvés dans le Mary Rose, XVIeme), le cerne extérieur du bois fait un très bon dos d'arc. S'il n'est pas abimé, il peut etre utilisé tel qu'el, le reste de l'arc étant taillé par rapport à ce cerne extérieur. Une entaille dans le dos de l'arc est une fragilité importante, en endommageant celui ci lors de l'écorçage, il faudrait travailler autrement ensuite.
Une fois les billettes écorcées, on encolle les deux bouts à la colle à bois pour éviter que l'eau ne s'échappe par les extémités en les abimant. on garantit ainsi un meilleur séchage, plus homogène. Puis on les pose dans un endroit sec et à l'ombre, ici un garage qui dans les années 60 accueillait 4 métiers à tisser mechaniques et une bobineuse. Aujourd'hui c'est le garage du grand père.
Au compte des cernes, l'arbre n'avait que 9 ans, pourtant, un facteur pourrait peut etre sortir 6 arcs si ce n'est plus. Vu la taille des cernes, en 12 ans il serait possible de sortir 8 arcs rien que sur les quatres premiers metres de haut. Ceci explique sans doute son utilisation intensive en manches à outils, manches d'armes et bois d'arc au fil des siecles. C'est vraiment une ressource très facile à multiplier.
Il devrait etre sec en 6 à 8 mois d'après le grand père. Mon plan est de les reccupérer à l'occasion de medu prochain pour la suite de l'aventure.
Mon plan pour le moment est d'en sortir au moins un longbow pour un ranger d'Ithilien. Ils sont décrits comme "presque aussi grand qu'eux"
- Papy a écrit:
- Two had great bows, almost of their own height, and great quivers of long green-feathered arrows.
Je suis convaincu que les arcs des rangers doivent majoritairement etre en if: c'est un bois plus efficace, et il me semble logique que les rangers ai les meilleurs arcs. Toutefois, les sources historiques me disent que lorsqu'il y a de l'if, il y a aussi du frene, que ça soit par souci d'économie ou manque de matiere premiere. Aussi, un arc en frene pour un ranger, sans etre le premier choix et l'interprétation évidente, me semblerait tout à fait acceptable et une essence parfaitement attestée dans l'univers. Il s'agira d'un longbow "section en D", au dos "plat" (suivant le cerne extérieur) et ventre bombé. Ce type d'arc, très commun si ce n'est plus que majoritaire du Veme siecle au XVIIIeme en Europe Occidentale, renvoit également au mythe de l'english longbow dans lequel il me semble que Tolkien puise son arc en if "a la maniere des hommes".
J'aimerais aussi expérimenter un arc court monoxyle mais puissant, afin de trouver une alternative pour les rohirrim aux arcs des peuples cavaliers orientaux qui pourrait découler de la simple adaptation du matériel occidental classique. On verra ce que j'arrive à en sortir.